Rupture conventionnelle : attention, les droits au chômage vont bientôt changer

Par Frederic Becquemin

Née pour pacifier les séparations, cette formule négociée suscite aujourd’hui bien des doutes. Après les soupçons de détournement, la rupture conventionnelle serait bientôt recadrée par la prochaine réforme de l’assurance-chômage.

Dans l’équilibre du marché du travail français, la rupture à l’amiable oscille entre souplesse contractuelle et filet de sécurité. Allonger les délais de carence ou relever les contributions patronales viserait à restreindre l’ouverture de des droits au chômage jugés trop généreuse tout en préservant la flexibilité contractuelle. Chaque départ négocié d’un salarié en cdi transfère la charge vers l’assurance publique et les projections annoncent déjà plusieurs milliards d’économies d’ici 2026.

Les règles actuelles de la rupture conventionnelle en un coup d’œil

Depuis 2008, la rupture conventionnelle permet à un salarié et à son employeur de mettre fin à un CDI sans contentieux, grâce à une démarche négociée. Au cours de l’entretien préalable, les parties fixent la date effective, évaluent l’indemnité puis consignent leurs décisions dans un convention employeur-salarié détaillant la somme versée. Ce montant ne peut descendre sous celui de l’indemnité légale de licenciement, garantissant un niveau comparable à l’indemnité de licenciement du Code.

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Une fois la convention signée, chaque partie dispose d’un délai de rétractation de quinze jours pour revenir sur sa décision. Passé ce laps, le dossier part à la DIRECCTE, où il reçoit une homologation par l’État attestant que la procédure protège pleinement les droits du salarié. Cette vérification examine montant de l’indemnité, l’absence de consentement et veille à ce que le départ négocié ne masque pas une sanction ou un éventuel licenciement déguisé.

Ci-dessous figurent les phases clefs de une procédure de rupture conventionnelle :

  • Entretien préalable réunissant employeur et salarié.
  • Rédaction de la convention précisant date et indemnité de licenciement.
  • Période de rétractation de quinze jours calendaires.
  • Dépôt pour procédure d’homologation auprès de la DIRECCTE.
  • Versement d’une indemnité minimale fixée par la loi, applicable au contrat à durée indéterminée classique.

Les pistes de durcissement envisagées par le gouvernement

Porté par François Bayrou et la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet, l’exécutif prépare un serrage de vis pour la rupture conventionnelle. Parmi les leviers évoqués, le rallongement du délai de carence figure en première ligne pour freiner les départs jugés de convenance. Actuellement, la période d’attente va de 7 jours à 5 mois suivant le montant des indemnités, et son extension viserait à éloigner le versement d’allocations, créant un délai de carence prolongé capable d’alléger la facture publique pour les caisses nationales.

Le gouvernement réfléchit maintenant à limiter la durée d’indemnisation. Dans cette perspective, une réduction des droits serait couplée à une nouvelle base de calcul des allocations, introduisant une baisse des indemnités pour plusieurs profils. Le projet, inscrit dans la réforme de l’assurance-chômage, miserait sur des règles plus strictes et un plafond de versement révisé afin d’épargner entre 3 et 4 milliards d’euros avant 2030.

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Au-delà du sort des salariés, l’exécutif veut impliquer les employeurs. Cette volonté passerait par la responsabilité sociale des entreprises, concept appelé à se traduire par une responsabilisation des entreprises lors de chaque rupture conventionnelle. Un mécanisme financier, articulé autour de règles plus strictes, renforcerait la contribution patronale et limiterait la pratique, tandis qu’un plafond de versement dissuaderait les stratégies de départ opportuniste.

Un nouveau cadre législatif pourrait ainsi voir le jour, rendant les ruptures conventionnelles moins systématiques et réduisant leur attractivité financière.

Les motifs avancés pour justifier la réforme

Selon la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, le projet corrige certaines dérives supposées apparues dans l’usage de la rupture conventionnelle. S’appuyant sur une étude Dares de 2018, l’exécutif estime qu’il existe une substitution aux démissions ainsi qu’un recul des licenciements économiques. Pour clore cette brèche, il revendique le retour d’une équité du système, empêchant que les allocations chômage ne deviennent la composante financière d’une négociation de départ.

Le cabinet du Travail observe le poids du dispositif, signalant qu’en 2022 les indemnités liées aux ruptures conventionnelles ont mobilisé 9 milliards d’euros. Pour contenir ce flot, une hausse du délai de carence et des contributions employeurs figure au menu, avec pour ambition de renforcer la maîtrise des coûts. Cette trajectoire sert la volonté de réduire les coûts de l’assurance chômage sans pénaliser le soutien aux salariés fragilisés.

Le ministère signale aussi un comportement opportuniste attribué à certains travailleurs qui voient dans l’allocation un revenu d’attente plutôt qu’un filet de secours. Une telle dérive encourage l’exécutif à verrouiller la procédure, afin que l’indemnisation accompagne la transition professionnelle plutôt qu’une pause choisie. L’argument répond aux abus présumés et soutient la cohérence d’une réforme conçue pour préserver la confiance collective et la solidarité

“Nous voulons que l’indemnisation redevienne un tremplin vers l’emploi, non un financement durable des ruptures de convenance.”

Astrid Panosyan-Bouvet – Ministre du Travail

L’impact budgétaire du dispositif et son évolution

Depuis 2022, les indemnités issues des ruptures conventionnelles pèsent lourd sur le budget de l’assurance-chômage. Le coût annuel des allocations s’est hissé à 9 milliards d’euros, soit 28 % de l’enveloppe déboursée par France Travail. Cet alourdissement provient du profil des bénéficiaires, salariés sortant d’un CDI souvent dotés de salaires plus élevés que la moyenne. Cette dépense reflète aussi l’évolution des ruptures : 315 000 dossiers validés en 2015, près de 515 000 annoncés pour 2024, la courbe ayant cessé de grimper depuis le millésime 2022 selon les dernières données consolidées officielles.

Face à cet envol financier, les pouvoirs publics envisagent un ajustement ferme. Dès la sixième année, la part des cdi concernés pourrait être limitée afin d’alléger la facture. D’après les services Bercy, les économies annuelles attendues oscillent entre 2 et 2,5 milliards d’euros sur la période, avec une cible culmen de 4 milliards au seuil de 2030. Ce rééquilibrage nourrirait l’économie publique 2026-2029, priorité gouvernementale visant à ramener durablement le régime à l’équilibre sans sacrifier la protection des personnes en transition.

  • 9 milliards d’euros d’allocations versées en 2022
  • 28% du total des allocations versées liées aux ruptures conventionnelles
  • Prévisions d’économie allant jusqu’à 4 milliards d’euros par an d’ici 2030

« Ces réformes visent à garantir la pérennité de notre système d’assurance-chômage tout en assurant une protection efficace pour les salariés en transition », explique Astrid Panosyan-Bouvet, ministre déléguée chargée du Travail.

Astrid Panosyan-Bouvet

La réaction des syndicats et des organisations patronales

Face à la réforme annoncée, la colère syndicale gagne du terrain dans les réunions tripartites. La contestation des syndicats prend la forme d’arguments chiffrés, d’exemples concrets et d’avertissements sur l’explosion potentielle des litiges. Lors d’une séance organisée avec la ministre du Travail, seule une délégation sur trois a accepté d’entrer vraiment dans le détail technique. La CFDT a parlé d’« carnage » pour les demandeurs d’emploi, tandis que la CGT a accusé l’exécutif de camoufler des licenciements déguisés derrière une rhétorique budgétaire jugée malhonnête par ses porte-parole.

Du côté patronal, la tonalité se veut plus mesurée, tout en signalant quelques dérives. Après plusieurs échanges, la position du medef souligne que la rupture conventionnelle a offert une paix relative, mais qu’elle se substitue parfois à une démission ordinaire, ce qui renchérit la facture pour l’Assurance-chômage. Jean-Eudes Tesson, président de l’Unédic, rappelle que ce mécanisme sert aussi d’amortisseur aux PME, notamment lorsqu’aucune autre issue amiable n’existe dans les situations de tension sociale.

Autour de la table, chacun mesure l’impact que pourrait avoir la réécriture du dispositif. Sous les phrases courtoises transparaît un dialogue social tendu où arguments et signaux comptables s’entrechoquent sans répit. Les partenaires s’accordent sur la nécessité de clarifier le calendrier, car les prochaines négociations prévues fin juin détermineront l’équilibre entre sécurisation économique et protection des salariés, alors que le climat social demeure sous pression.

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