Sous des contrats de service impeccables, le délit de marchandage s’installe parfois sans bruit, lorsque l’organisation réelle du travail glisse vers le client et brouille les responsabilités, au détriment des salariés et des garanties. Une lecture rigoureuse du droit du travail révèle vite la bascule juridique.
Vous pensez gérer une prestation, pas du personnel, jusqu’au jour où les faits racontent autre chose. Si coordination, horaires et consignes viennent du client, la prestation devient une mise à disposition de personnel camouflée, et le risque s’ouvre. Alors surgissent des infractions sociales avec amendes et réparations. La chute est nette.
Sous le vernis de la prestation, l’ombre du délit de marchandage : quand la mise à disposition bascule
Sous contrat, deux sociétés coopèrent et se disent partenaires. Derrière une apparente prestation de service, la réalité du travail peut révéler une mise à disposition de personnel. Direction quotidienne, intégration aux rituels, et reporting imposé laissent transparaître un contrôle effectif par l’entreprise cliente.
Ce glissement change la qualification et expose à des poursuites pour délit de marchandage. La bascule juridique s’observe quand le client organise, évalue et tire l’avantage économique des tâches. Pour vous repérer, vérifiez ces marqueurs opérationnels :
- Ordres et priorités fixés par le client
- Outils et agendas fournis par le site
- Facturation indexée sur le temps
- Absence d’autonomie sur les méthodes
Où commence l’infraction ? Les trois critères qui, ensemble, font tomber le masque
La qualification de délit de marchandage découle d’une analyse des faits et non du vernis contractuel. Les contrôleurs vérifient qui dirige le travail, qui profite de l’opération et quels droits ont été rognés, en recherchant notamment le lien de subordination et un but lucratif attaché à la fourniture de main‑d’œuvre.
Trois critères se cumulent pour faire tomber la façade : transfert d’autorité, intérêt financier et atteinte aux garanties. Les juges exigent qu’apparaisse soit un préjudice au salarié, soit une élusion des normes légales ou conventionnelles, révélée par la réalité du chantier, des plannings, des consignes et de la facturation.
Code du travail L.8231-1 : le marchandage est toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre causant un préjudice au salarié ou éludant l’application des dispositions légales ou conventionnelles
Quand le lien de subordination se déplace sans bruit vers l’entreprise cliente
Le déplacement du pouvoir de direction se repère dans les gestes ordinaires et les consignes données sur site. Quand le client fixe les priorités, valide les absences et organise les réunions, un encadrement quotidien par ses managers apparaît. L’usage des outils internes, des plannings partagés et des badges traduit une intégration aux équipes, au‑delà d’une simple coordination.
Le but lucratif qui transforme la collaboration en commerce de main-d’œuvre
Le profit se lit dans les chiffres plus que dans les intitulés. La facturation en régie, détaillée en jours‑hommes ou via une tarification horaire, révèle une logique de mise à disposition plutôt qu’un résultat livré. Si la facture se limite au temps passé et à un coefficient couvrant une marge commerciale, sans livrable autonome ni transfert de risque, l’opération s’apparente à un commerce de main‑d’œuvre.
Le préjudice au salarié ou l’élusion des normes : le signal d’alarme juridique
Le dommage s’évalue par comparaison avec les salariés de l’entreprise utilisatrice. Des écarts de salaire, de primes ou d’avantages sociaux peuvent constituer une inégalité de traitement objectivable. L’absence d’application de la convention collective adéquate, la perte des équipements de sécurité ou des temps de pause réglementaires matérialisent l’atteinte aux droits et confirment l’infraction.
Prêt illicite de main-d’œuvre et marchandage : deux frontières qui se frôlent mais ne se confondent pas
Vous faites intervenir des salariés d’un prestataire sur votre site et vos managers fixent horaires et consignes ? Les inspecteurs regardent au-delà des intitulés. Quand l’opération rémunérée vise la mise à disposition de personnel, le prêt de main-d’œuvre devient illicite si la fourniture de bras est l’objet exclusif de la convention. Hors intérim ou portage, la direction effective des tâches chez le client révèle l’opération prohibée.
Le délit de marchandage suppose la recherche d’un profit et un préjudice pour les salariés ou l’élusion des règles sociales. Des écarts de rémunération, l’absence d’équipements équivalents ou une majoration artificielle d’heures déclenchent l’analyse. Si une mise à disposition prohibée s’y ajoute, un cumul d’infractions peut être retenu, avec suites pénales et civiles.
L’objet exclusif de mise à disposition versus la prestation réelle de service
Un contrat peut afficher une mission d’assistance, tout se joue dans l’exécution. Si le prix est forfaitaire, que le prestataire organise le travail, apporte ses méthodes et assume le risque, la prestation réelle prend le dessus. À l’inverse, présence de pointage client, ordres quotidiens et facturation à l’heure orientent vers une qualification pénale de prêt illicite, voire de marchandage selon le préjudice.
Le cumul possible des infractions : quand la ligne rouge est franchie de deux façons
Des situations montrent deux atteintes simultanées : mise à disposition comme finalité et atteinte aux droits. Les parquets retiennent parfois une double qualification lorsque le dossier rassemble des éléments concordants. Les décisions s’appuient sur des seuils légaux et des indices factuels : différence de salaire, absence de médecine du travail, absence d’astreinte de sécurité comparables. Les sanctions se cumulent alors, pénales et civiles, avec solidarité financière.
Quels secteurs sont sous surveillance accrue et pourquoi ces modèles d’affaires attirent les contrôles ?
Les pratiques d’externalisation sont scrutées lorsque la prestation ressemble à une mise à disposition de personnel. Dans les ESN, le risque apparaît quand la mission se gère au quotidien chez le client. Des signaux d’alerte à repérer :
- facturation indexée sur l’heure ou le poste
- consignes opérationnelles données directement par le client
- planning, badge et outils fournis par le donneur d’ordre
- intégration aux équipes et reporting interne
Ces indices combinés déclenchent des vérifications ciblées.
Les contrôles se concentrent sur les métiers où l’organisation passe chez le donneur d’ordre. Dans le secteur de la propreté, la programmation et les consignes sont pilotées par site, ce qui expose. En BTP, la sous-traitance en cascade brouille les responsabilités et le lien de direction. La sécurité privée cumule affectations imposées, astreintes et reporting, ce qui alerte les inspecteurs.
Le cadre légal des exceptions qui évitent la qualification pénale sans trahir l’esprit du droit
Le droit admet des schémas encadrés qui organisent une relation tripartite sans dériver vers le pénal. Le portage salarial fixe un contrat de travail, une rémunération et la gestion sociale par la société de portage. La direction de la mission est définie, et l’autonomie du consultant est précisée.
À noter : l’ordonnance n°2015-380 du 2 avril 2015 encadre le portage salarial et balise les conditions qui le distinguent d’un marchandage pénalement répréhensible.
Les autres voies licites reposent sur un encadrement strict et une finalité de service. Le travail temporaire exige une agence habilitée, un contrat de mission, l’égalité de traitement et une facturation transparente. Le temps partagé passe par un employeur unique qui répartit l’activité chez plusieurs clients, avec suivi et responsabilité claire.
Comment les juges tranchent-ils ? Indices concrets, faisceau d’éléments et réalité du terrain
Les juges ne s’arrêtent pas aux intitulés; ils évaluent la prestation telle qu’elle se vit au quotidien. Les éléments convergents, articulés en faisceau d’indices, priment sur l’habillage contractuel. Le regard se porte sur qui commande, qui organise, qui bénéficie. En audience, la réalité du terrain prime : consignes, intégration, profits et traçabilité des interventions.
La qualification ne repose pas sur un indice unique. Les magistrats repèrent des signaux concordants et vérifient le degré de contrôle des tâches, puis regardent la cohérence économique. Pour mémoire, voici des marqueurs qui reviennent :
- Ordres quotidiens
- Intégration aux outils
- Tarif au jour
- Changement de manager
- Absence de livrables
Pris ensemble, ils pèsent lourd.
Organisation du travail, encadrement quotidien et intégration aux équipes
Les décisions s’attachent au quotidien vécu par les équipes détachées chez un client. Quand la planification et horaires sont imposés par le donneur d’ordre, avec validation des absences et des congés, le lien de subordination se déplace. Un encadrement hiérarchique direct — objectifs, reporting, sanctions — marque une intégration au collectif de travail de l’entreprise utilisatrice. Badgeage, accès aux outils internes et participation aux réunions internes renforcent le diagnostic.
Facturation, marge et modalités financières qui parlent d’elles-mêmes
Les juges scrutent la mécanique contractuelle et les flux financiers. Une facturation journalière ou horaire au “temps homme”, sans livrables définis, révèle une mise à disposition. Ils confrontent les coûts réels, les salaires et la marge commerciale captée par l’intermédiaire. Plus le prix dépend du nombre de personnes et du temps passé, moins la prestation ressemble à un service autonome, et plus elle évoque un commerce de main-d’œuvre.
Durée des missions, matériel fourni et contrôle effectif des tâches
Les magistrats observent la stabilité des affectations et la logistique de travail. Une durée de mission prolongée sur le même poste et le matériel fourni par l’entreprise cliente signalent une intégration durable. Ajoutez des consignes techniques, des procédures internes et un suivi quotidien de l’exécution: le pouvoir de direction se manifeste. Quand la société prestataire ne contrôle plus les méthodes, la qualification du délit de marchandage se précise.
Prévenir le risque plutôt que réparer : architecture contractuelle et pratiques managériales à instaurer dès le départ
Pensez l’accord en détaillant l’objet, les livrables et le contrôle des résultats. Prévoyez des modalités liées au résultat, adossées à un contrat de prestation et à une rémunération forfaitaire alignée sur la tâche plutôt que sur des heures. Décrivez l’autonomie du prestataire et ses méthodes, pour éloigner la qualification pénale.
Côté exécution, l’équipe du prestataire demeure encadrée par ses responsables, et le client s’abstient de donner des ordres quotidiens. Les demandes et changements passent par un référent technique unique qui trace les instructions, pour éviter le transfert du lien de subordination. Formez vos chefs de projet et alignez la gouvernance interne sur ces principes, sans intervenir dans l’organisation du prestataire.
À noter : le délit de marchandage (C. trav., art. L.8231-1) et le prêt illicite de main-d’œuvre (art. L.8241-1) sont distincts ; forfaits sur livrables et pilotage par le prestataire constituent des marqueurs de sécurisation.
Quelles voies de recours pour les salariés et quelles conséquences pour les entreprises épinglées ?
Des faits caractérisés se préparent par un dossier probant : contrats, consignes reçues, planning, badgeages, ou échanges internes. Après ces éléments, un dépôt auprès de l’inspection du travail peut déclencher un contrôle ciblé, y compris sur site. Le salarié peut aussi solliciter son représentant ou un avocat pour sécuriser la démarche. Quand la hiérarchie bloque ou expose, le statut de lanceur d’alerte ouvre une voie externe, avec confidentialité et interdiction des représailles. Le signalement s’accompagne d’un récit chronologique des faits, utile pour caler dates, lieux et responsables identifiés.
Au civil, la saisine du conseil de prud’hommes vise requalification, rappels et indemnités. Au pénal, une plainte avec constitution de partie civile cible les responsables et facilite l’accès au dossier.
Signaler, documenter, se protéger : le rôle de l’inspection du travail et du lanceur d’alerte
Rassembler la preuve prime : consignes émanant du client, plannings imposés, échanges de messagerie, attestations, photos du poste, et relevés de badge. Dans le dossier, mentionnez un signalement documenté avec une chronologie précise, noms, dates, lieux et pièces indexées.
L’alerte peut être interne ou externe selon la situation, mais la loi protège contre les mesures de rétorsion. Ce cadre de protection juridique couvre confidentialité, absence de sanctions et nullité d’un licenciement lié à l’alerte.
Pénal, prud’homal et peines complémentaires : la mécanique des suites juridiques
Le parquet poursuit les auteurs du marchandage et ses bénéficiaires, sur rapport de contrôle ou plainte. Les sanctions pénales visent personnes physiques et morales : amendes, prison pour les dirigeants, et responsabilité conjointe potentielle pour les salaires impayés.
Des mesures additionnelles existent selon la gravité des faits et la récidive. Parmi elles figurent les peines complémentaires : interdiction d’exercer certaines activités, affichage ou publication du jugement, fermeture d’établissement, et confiscation du matériel. Au civil, requalification, rappels de salaires et redressements sociaux alourdissent la note.
Au-delà de la peur de la sanction, une vigilance qui redonne du sens au travail et assainit les relations interentreprises
Passer d’une logique de peur à une culture de responsabilité change la relation entre client et prestataire. Les équipes savent qui planifie, qui dirige, qui contrôle l’exécution. Au lieu de déléguer l’autorité au donneur d’ordre, le prestataire garde la main sur le management et la sécurité. Cette clarté soutient la conformité sociale et apaise les relations interentreprises durables, en réduisant les zones grises où prospère le délit de marchandage.
Elle se décline par un cahier des charges axé sur des livrables, une facturation au forfait, et un référent côté prestataire qui encadre le travail au quotidien. Inscrivez ces éléments dans une vigilance contractuelle vivante, avec audits partagés, revues de mission, et clauses de requalification en cas de dérive, afin de protéger les salariés et la valeur de la coopération.
FAQ à propos du délit de marchandage
Infraction du Code du travail punissant une mise à disposition de main‑d’œuvre lucrative qui porte atteinte aux droits des salariés ou contourne des règles. Trois critères cumulatifs: transfert du lien de subordination vers le client, finalité lucrative, préjudice ou élusion des normes. Indices: horaires fixés par le client, tâches pilotées sur site, facturation à l’heure, inégalités de traitement.
Le prêt illicite de main‑d’œuvre vise une opération dont l’objet exclusif est la mise à disposition de personnel et ne requiert pas la preuve d’un préjudice. Le délit de marchandage peut s’insérer au sein d’une prestation de services, n’exige pas l’exclusivité, et suppose un préjudice ou une élusion des règles. Les deux qualifications peuvent se cumuler.
Pour un marchandage simple: jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, prescription pénale de 3 ans. Aggravations: 5 ans et 75 000 € en cas de pluralité de victimes ou vulnérabilité, 10 ans et 100 000 € en bande organisée. Personnes morales: amendes jusqu’à 150 000 € (simple) et peines complémentaires: interdictions, confiscations, affichage public.
ESN, propreté, BTP et sécurité privée présentent des cas récurrents. Signaux d’alerte: le client choisit les personnes affectées, fournit les outils, dirige l’exécution quotidienne, contrôle les horaires; la facturation dépend du nombre d’heures et de salariés; missions très longues; disparités salariales et d’avantages sociaux par rapport aux permanents. Ces éléments révèlent un transfert d’autorité.
Structurer un contrat qui décrit une tâche précise, des livrables et des modalités d’exécution, avec une rémunération forfaitaire liée au résultat plutôt qu’aux heures. Maintenir l’autorité de l’entreprise prestataire: instructions, contrôle, discipline et référent identifié. Prévoir que les moyens matériels et l’expertise proviennent du prestataire. Limiter la durée des missions auprès d’un même client.