Recruter ressemble désormais à un puzzle mouvant, où simplicité apparente se double d’une complexité inattendue. Entre algorithmes et attentes humaines, la tension sur un marché de l’emploi brouille repères fragiles.
Autour des offres, chacun prétend avoir parlé clairement, pourtant l’autre assure n’avoir rien compris. Recruteurs brandissent l’étendard de la pénurie de talents tout en laissant filer le flux impersonnel formé par les candidatures en ligne générées par scripts et prompts. Sous la pression d’objectifs mouvants, le processus de sélection vacille puis s’interrompt, tandis que la relation entreprise candidat s’effrite, chacun disparaissant sans adieu, ni bilan ni excuse.
Candidatures en masse : quand l’IA uniformise les profils
Les cadres sondés par Robert Walters en France indiquent pour 75 % envoyer entre cinq et dix candidatures chaque semaine, et 35 % reconnaissent recourir ponctuellement ou fréquemment à un outil d’intelligence artificielle pour accélérer l’envoi. Passée la première lecture, les recruteurs perçoivent rapidement un texte lisse, calé sur des modèles identiques. Cette tendance se confirme : 46 % disent déceler un formatage impersonnel rien qu’en parcourant la mise en page d’un CV. L’effet miroir recherché se change alors en signal d’alerte et déclenche habituellement une mise à l’écart du dossier immédiat.
« La multiplication des candidatures pilotées par des algorithmes finit par gommer le vécu personnel des professionnels et fatigue les recruteurs »
Olivia Jacob, Robert Walters
Quand le contenu se ressemble, l’optimisation de CV automatisée finit par miner la crédibilité du profil auprès des employeurs. Les consultants rappellent qu’une candidature audible met en avant la pertinence des compétences face à l’offre plutôt que de juxtaposer des mots-clés génériques. Pour écarter l’exclusion silencieuse, la personnalisation manuelle d’un paragraphe sur les résultats atteints ou sur un projet phare reste payante. Ce soin rassure le recruteur sur l’authenticité de l’expérience et limite la défiance suscitée par des candidatures massivement produites en série.
Embellies quantitatives, lacunes qualitatives côté recruteurs
Depuis le deuxième trimestre 2025, 74 % des entreprises constatent un gonflement notable d’un volume de candidatures arrivant dans leur boîte de réception, en moyenne chaque jour. Derrière cet afflux, les équipes talent acquisition relèvent un décalage persistant : seule une poignée répond réellement à l’ensemble des missions décrites. Pour remédier, les services RH déclenchent le filtrage automatique afin d’écarter les CV trop génériques et réduire la surcharge. Sans cette première barrière technologique, les délais d’étude dépasseraient encore les deux semaines déjà pointées du doigt par les candidats.
« Recevoir plus de CV qu’avant ne suffit pas ; nous cherchons des réponses claires à nos besoins et pas une pile de copies sans relief »
Responsable RH, secteur industriel
Cette quantité ne compense pas l’adéquation des critères fixés par les directeurs de département ; 80 % des postulants jugent même leurs messages ignorés. Les recruteurs recherchent désormais un meilleur repérage des soft skills au-delà des diplômes, car les exigences des entreprises intègrent la capacité à collaborer et à apprendre vite. Or ces qualités restent ardues à déceler dans un CV standardisé. Un court pitch vidéo ou un paragraphe narratif, joint dès l’envoi, peut donc inverser la tendance et replacer la conversation sur la valeur ajoutée plutôt que sur la quantité.
Ghosting réciproque : la communication en panne
Selon la récente étude publiée par Robert Walters en 2024, 80 % des candidats affirment que leurs messages restent sans réponse, générant une suspicion tenace. Dans ce climat d’incertitude, un allongement des entretiens sans retour concret accroît la lassitude, tandis que la promesse d’une réponse rapide se dissout. Pour freiner cette dérive, les équipes RH peuvent instaurer le suivi des retours : messages préprogrammés, précisions sur les délais, description claire de la prochaine étape.
De tels repères rétablissent la crédibilité du processus et évitent que les talents ne se détournent prématurément d’une offre entre deux propositions. Le phénomène fonctionne dans l’autre sens : 76 % des recruteurs déclarent voir disparaître des talents après un accord verbal pourtant enthousiaste. Pour renforcer l’engagement du candidat, les professionnels du staffing misent désormais sur la transparence du processus : calendrier partagé, critères d’évaluation détaillés, réponse aux questions en temps réel.
Ces attentions fabriquent une expérience candidat positive, capable de réduire le taux de désistement et d’installer la confiance avant la signature. Une communication bilatérale, précise et régulière devient ainsi le meilleur rempart contre ce double ghosting dans toutes les phases du parcours de recrutement.